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Aux Etats-Unis, la délicate cohabitation de trois générations de salariés dans un même bureau

Source : Le Monde - Caroline Talbot



L’entreprise américaine est un « bouillon de cultures » où se retrouvent aujourd’hui trois à quatre générations. Les manageurs multiplient les expérimentations pour désamorcer les tensions et éviter les pertes de productivité.


Une fois par mois, Kaye Monk, présidente du Kansas Leadership Center, s’installe dans un bureau ouvert et se met à l’écoute de ses quarante salariés. Une diversité de profils sur trois générations, du trentenaire aux baby-boomeurs. « On parle des enfants, des rêves et envies de chacun, on crée des relations entre collègues. Il faut garder le doigt sur le pouls de ses employés », dit-elle, et tenter de resserrer les liens entre les uns et les autres.

            

En tant que nouvelle patronne de cette entreprise qui promeut le leadership civique, Mme Monk a délibérément multiplié les occasions de rencontre, tels ces repas mensuels intergénérationnels où se nouent de drôles d’alliances. La présidente a ainsi vu des seniors partager le même point de vue que des jeunes recrues sur les sans-abri, ou encore de vieux employés complices de jeunes Latinos, désireux de célébrer ensemble et au bureau la fête du Cinco de Mayo, qui commémore la victoire des Mexicains sur les Français, le 5 mai 1862.

            

La communication entre générations ne va pas de soi : « 74 % des manageurs disent qu’il est difficile de travailler avec la génération Z [autour de la trentaine], raconte la coach Ashley Stahl, citant un sondage réalisé par Resume Builder auprès de 1 344 cadres ; 12 % des employeurs ont même renvoyé de jeunes recrues dès la première semaine d’embauche. »

                             

Les frictions entre générations entraînent une baisse de productivité, explique-t-on chez Protiviti. Les chercheurs du groupe consultant et de la London School of Economics ont étudié durant trois ans les différentes classes d’âge de salariés pour en chiffrer l’ampleur. Leur conclusion : 25 % d’entre eux annoncent une faible productivité. Dans le détail, 37 % pour la génération Z, 14 % pour les baby-boomeurs. Et quand l’écart d’âge avec le manageur est de plus de douze ans, la chute de productivité est encore plus importante.


« C’est une question de diversité, dit Heidi Brooks, professeure de l’école de management de l’université Yale. On doit faire face à des collisions de perspectives entre des jeunes qui s’expriment et des personnes plus âgées qui ne parlent que quand on s’adresse à elles. » Même quand l’entreprise croit bien faire, il lui arrive de se tromper. Mme Brooks prend l’exemple de la méditation au bureau. « La génération Z s’en méfie. Pourquoi devrait-elle passer plus de temps au travail pour méditer ? », demande-t-elle. « Il faut être plus inclusif, former les manageurs, qu’ils apprennent à mélanger les équipes et donnent aux jeunes voix au chapitre » explique Matt Duncan, directeur de Protiviti.

            

Une « culture de l’expérimentation »

            

Il n’existe pas de réponse universelle face à la diversité de besoins des uns et des autres. Mieux vaut être à l’écoute et personnaliser son approche, suggère Christina Janzer, vice-présidente principale de la recherche pour la plate-forme collaborative Slack. Les membres éloignés de son équipe disposent ainsi d’un livret personnel de fonctionnement expliquant les préférences de chacun. Et de prendre son propre exemple : « Je leur dis quand je suis disponible et mon style de communication. J’aime avoir des documents écrits avant la réunion, je préfère que la caméra soit allumée pour voir les expressions de mes interlocuteurs. » Mme Janzer va plus loin : « Je n’ai aucune patience avec les gens qui sont toujours négatifs, j’ai envie qu’on trouve ensemble des solutions. »

                 

Ce manuel du savoir-vivre permet d’améliorer les relations au sein de l’équipe. Mme Janzer prône aussi une « culture de l’expérimentation ». Quand tout le monde se plaint de la réunionite aiguë, elle essaie une semaine entière sans réunion interne deux fois par trimestre. Elle teste aussi les réunions réduites de moitié, puis dresse le bilan avec ses collaborateurs. Au bout du compte, avoue-t-elle, « les rencontres de quinze minutes sont trop courtes. On n’a pas le temps de créer des connexions ». Cette réforme est donc passée à la trappe : « Nous avons appris », conclut-elle.

                            

Mme Monk expérimente elle aussi avec ses équipes, en revoyant par exemple l’usage de la carte de crédit de l’entreprise ou encore le code vestimentaire. « Apres le Covid, nous avions adopté une tenue de travail “business décontracté” », se souvient-elle. Les tee-shirts n’en faisaient pas partie, mais les plus jeunes ont protesté. La présidente a trouvé un compromis : « D’accord pour le tee-shirt, si on le porte sous la veste. »

            

Ian Sells, le président du site d’entrepreneurs Million Dollar Sellers, se veut lui aussi « flexible ». Pas question de surveiller de près ses vingt employés, dispersés entre les Etats-Unis, le Canada, le Mexique et l’Europe de l’Est. Il suit l’état d’avancement des projets une fois par semaine, mais chacun a ses préférences en matière de communication. Les plans de formation s’adaptent à la personnalité des salariés. « La génération Y [les quadragénaires], constate-t-il, demande des documents indexés dans le moteur de recherche. Les Z préfèrent des résumés d’articles et des vidéos. Pour eux, une heure de conversation doit se condenser en cinq minutes. »

                             

 « Donnez un sens à leur travail, conseille Bonnie Hagemann, directrice générale de la firme consultante Executive Development Associates, en prônant un à deux jours par an de volontariat pour une bonne cause. Le partage aussi est essentiel. »


C’est ce que favorise le mentorat inversé, qui renforce les liens entre générations. Mme Hagemann se souvient avec émotion des échanges entre son président, ancien brigadier général quinquagénaire, avec une jeune trentenaire du service clientèle, tout juste diplômée. « Il devait licencier quelqu’un et lui a demandé comment faire. »

                        

   

Les chiffres

 

      

37 %

         

C’est le pourcentage de salariés actuellement autour de la trentaine (génération Z) qui ont une faible productivité due aux problèmes de collaboration intergénérationnelle, indique l’étude « The Inclusion Initiative » de la London School of Economics en collaboration avec le groupe consultant Protiviti, sur la base d’un sondage réalisé en 2023 auprès de 1 450 employés des secteurs de la finance, de la technologie et des services. Ils ne sont plus que 18 % lorsque chaque génération arrive à se faire entendre.

         

30 %

         

C’est la part des salariés quarantenaires (génération Y, millennials) qui font le même constat. Elle est ramenée à 13 % en cas de bonne communication.

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