Source : Le Figaro - Thomas Lestavel
PSYCHOLOGIE - Des études soulignent les bienfaits de l'autocompassion, qui consiste à faire preuve d'empathie envers soi-même.
« Être en paix avec soi-même est le plus sûr moyen de commencer à l'être avec les autres », écrivait le poète espagnol Luis de León au XVIe siècle. Notre société de la performance nous pousse pourtant à être exigeants voire durs avec nous-mêmes, quitte à créer de la souffrance inutile. L'autocompassion prend le contre-pied de cette tendance: elle nous invite à nous considérer avec autant d'empathie que nous le ferions avec un ami, en faisant preuve de compréhension face à nos erreurs. « Il s'agit, quand ça va mal, de traiter ses propres émotions de manière douce et bienveillante. Plutôt que se donner un coup de pied au derrière, on va chercher à sortir du trou », évoque Pierre Carnicelli Daniel, psychologue clinicien en région parisienne.
L'autocompassion se retrouve notamment dans la thérapie d'acceptation et d'engagement (ACT), dont la première composante implique de se confronter à ses émotions désagréables. « Pour pratiquer l'autocompassion, il faut savoir s'écouter, se relier à ses besoins en souffrance », ajoute Gaëtan Cousin, docteur en psychologie à Lausanne (Suisse) et coauteur du livre Du calme. Comment lutter contre l'agitation intérieure (Odile Jacob).
Observer les pensées que nous nourrissons sur nous-mêmes peut suffire « à se rendre compte de notre dureté et nous pousse à devenir plus bienveillants avec nous-mêmes. L'individu passe d'un discours intérieur accusateur ou méprisant à une attitude bienveillante et douce. » Gaëtan Cousin, docteur en psychologie à Lausanne (Suisse) et co-auteur du livre «Du calme. Comment lutter contre l'agitation intérieure» (Odile Jacob).
Une étape indispensable consiste ainsi à observer les pensées que nous nourrissons sur nous-mêmes : avec quel ton de voix est-ce que je me parle ? Comment est-ce que je me juge dans telle ou telle situation délicate ? « Parfois, ce type d'introspection suffit à se rendre compte de notre dureté et nous pousse à devenir plus bienveillants avec nous-mêmes, poursuit le spécialiste. L'individu passe d'un discours intérieur accusateur ou méprisant à une attitude bienveillante et douce. Il cesse progressivement de se juger ». Une psychothérapie peut aussi aider la personne à développer un discours intérieur empreint de compassion.
Plus de 3000 études auraient montré, ces vingt dernières années, les bienfaits de l'autocompassion. Dans un article de 2012, le Personality and Social Psychology Bulletin évoque une meilleure estime de soi, une moindre tendance à se décourager face aux difficultés et une plus grande motivation à ne pas reproduire les erreurs du passé. Des études ont même identifié un renforcement du système immunitaire. « L'autocompassion donne des résultats particulièrement probants avec trois types de personnes : celles qui manquent de confiance en elles, les hypersensibles et les patients atteints de troubles anxieux ou dépressifs », souligne Pierre Carnicelli Daniel.
« Il n'y a rien de narcissique ou de pervers à s'aimer. » Pierre Carnicelli Daniel, psychologue clinicien.
Professeure de psychologie à l'université d'Austin, dans le Texas, l'américaine Kristin Neff a défriché la notion d'autocompassion au début des années 2000. Elle a «redécouvert» un concept millénaire issu de la philosophie bouddhiste, en se rendant dans un centre de méditation créé par le moine vietnamien Thich Nhat Hanh. Ce dernier a créé le Village des Pruniers près de Bergerac, qui attire chaque année plusieurs milliers de retraitants. Dans un article de 2003 sur le sujet, Kristin Neff décline l'autocompassion en trois composantes. La première consiste à faire preuve de douceur et d'empathie envers soi-même comme on le ferait avec autrui. La deuxième est de reconnaître que l'on est un être humain parmi d'autres, qui souffre comme eux – et que cela fait de nous un être relié et non séparé des autres. La chercheuse ajoute à ces deux éléments la pratique de la méditation en pleine conscience, où il s'agit de prêter attention à sa respiration et aux sensations corporelles. « Lorsqu'un patient observe son corps, ses émotions désagréables prennent moins de place », affirme Pierre Carnicelli Daniel.
Gare à la complaisance
À vouloir cultiver la bienveillance, ne risque-t-on pas de tomber dans la complaisance avec notre propre personne ? On pourrait certes craindre que l'autocompassion encourage le laisser-aller. Kristin Neff affirme le contraire : c'est lorsqu'on est trop dur avec soi-même qu'on se décourage et qu'on tombe dans la passivité. L'empathie envers soi-même et le désir sincère de s'aider fonctionnent mieux que l'autoflagellation. « Il n'y a rien de narcissique ou de pervers à s'aimer », résume Pierre Carnicelli Daniel.
L'autocompassion se distingue d'un autre concept en vogue, celui de l'estime en soi, dont certains auteurs pointent les limites. « Alors que l'estime de soi implique d'évaluer positivement et inclut souvent le besoin d'être spécial et au-dessus de la moyenne, l'autocompassion n'entraîne pas une autoévaluation ou une comparaison avec d'autres », indique le psychologue Fabien Devaugermé. Prenons garde, car la recherche de performance n'est jamais loin.
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