Source : Les Echos - Muriel Jasor
Beaucoup, en entreprise, confondent les deux termes. Chose certaine, chacun des profils est indispensable à l'efficacité et la réussite d'une organisation. Et leur succès dépend de leurs aptitudes comportementales (« soft skills »).
Le tout récent retour , après une violente éviction , de Sam Altman à la tête d'OpenAi s'inscrit dans une tendance de fond persistante, celle des dirigeants dont la longévité est aujourd'hui sans cesse menacée. Au-delà du secteur de la tech, selon Ethics & Boards, 16 % des sociétés de l'indice FTSE ont changé de CEO en un an ; ce qui marque une augmentation de 6 % par rapport à l'an dernier.
Non seulement les numéros un ne restent plus aussi longtemps en poste qu'auparavant, mais aussi ils le quittent de plus en plus jeunes. C'est du moins ce qu'observe une étude du cabinet Russell Reynolds Associates. La France n'échappe pas à ce phénomène.
L'ancienneté des directeurs généraux du SBF120 et du CAC 40 accuse une baisse continuelle, indique l'enquête : de 9,8 ans en 2019-2020, elle est tombée à 7,5 ans en 2022-2023 en passant par 9,1 ans en 2020-2021 et 8,4 ans en 2021-2022. Dans un même mouvement, l'âge des dirigeants, au moment de leur départ, diminue également : de 61,6 ans à 59,3 ans, avec un décrochage post-confinement puisque les dirigeants sur le départ, en 2021-2022, étaient âgés de 59,7 ans contre 62,1 ans sur la période 2020-2021.
Ratio questions/réponses
Tout un palimpseste de crises - sanitaire, économique, sociétale, géopolitique, climatique… - nourrit cette situation. Autant de turbulences malmènent les leaders mais aussi les managers au sein des organisations. Du reste, est-il préférable d'être bon leader ou bon manager pour devenir numéro un aujourd'hui ?
Les deux, aura-t-on envie de répondre, mais le cas de figure reste rare. Beaucoup, en entreprise, confondent les deux termes. Il y a quelques jours, sur X (ex-Twitter), le gourou du management Gary Hamel donnait son point de vue : « C'est une question de ratio questions/réponses, avançait-il. Celui du manager est inférieur à un, car il a tendance 'à dire' plutôt qu'à questionner. Au contraire, le bon leader, soucieux de continuellement apprendre, hisse son ratio au-dessus de un parce qu'il pose des questions. » De quoi compléter la périphrase de l'auteur et expert en leadership Warren Bennis : « Le manager a ses yeux rivés sur les résultats tandis que le leader, lui, fixe l'horizon. »
Manager, une fonction boudée à réinventer
La chose certaine est que les deux profils sont indispensables à l'efficacité et à la réussite d'une organisation. Si les managers - au rôle bien défini autour d'éléments tangibles - y sont plus nombreux, leur fonction n'en est pas moins difficile. Car il s'agit, pour les meilleurs d'entre eux, de savamment allier dimension humaine, contraintes organisationnelles et résultats.
Pour atteindre ses objectifs, le manager agit sur diverses composantes de l'organisation ainsi que sur celles avec lesquelles elle est en interaction : des projets, budgets, process, agendas mais aussi des groupes humains (équipes, clients, fournisseurs, sous-traitants…). Au fil des dernières années cependant, nombre de processus sont venus désincarner cette fonction, de plus en plus boudée.
Il faudrait aujourd'hui non seulement réinventer les pratiques managériales, mais aussi surtout les dépasser en mettant l'accent sur le travail en réseau plutôt que sur le contrôle et la hiérarchie. Une façon, en somme, de redistribuer les tâches de management entre tous.
Manager redevient enthousiasmant dès lors que l'on favorise l'entraide, l'écoute et le dialogue au sein des équipes et que l'on développe les talents en leur donnant autonomie et reconnaissance . Encore faut-il que lesdits managers ne soient pas eux-mêmes sous pression continuelle, peu soutenus par leur organisation et mal managés. La cause de nombre d'échecs…
En rendant les choses beaucoup moins tangibles, la complexité donne la primeur aux leaders - aux définitions pourtant multiples, évolutives et floues - et pousse les entreprises à choisir leur numéro un parmi des personnalités capables de se placer dans l'action, tout en se reconnaissant - dans le brouillard ambiant - une part d'ignorance. Refusant de subir l'incertitude , on attend d'elles qu'elles fassent preuve de curiosité et d'inventivité, s'évertuent à donner du sens à l'action et fixent un cap.
Des soft skills pour mobiliser, inclure, susciter l'adhésion
Passer du management au leadership serait la meilleure façon d'équilibrer humain et technologies face aux enjeux à venir. Les meilleurs leaders comprennent d'ores et déjà qu'il leur faut changer de posture et tout axer sur leur capacité à mobiliser, inclure le plus grand nombre et susciter l'adhésion. Reconnus comme ayant une valeur ajoutée pour l'entreprise, ils travaillent, au quotidien, à conserver leur influence auprès de diverses parties prenantes (actionnaires, investisseurs, pouvoirs publics comme salariés, fournisseurs ou clients).
On le comprend, leur succès dépend désormais surtout de leurs aptitudes comportementales (les fameux « soft skills ») ; autrement dit, d'une façon d'allier - idéalement - humilité, bonne estime de soi, loyauté, authenticité , transparence, honnêteté, souci des autres et autorité naturelle. Un tel leadership est supposé insuffler de l'énergie et inspirer confiance aux autres. A ce stade, le pouvoir dépasserait le savoir pour, comme l'explique la professeure et conférencière Jeanne Bordeau, aussi se fixer sur « le dire et le voir ».
En tout état de cause, notre époque a besoin, au sommet des organisations et en tout autre point névralgique (qui peut receler des leaders « locaux » non reconnus ou qui s'ignorent), de personnes capables de s'ouvrir à l'alternative, de poser un autre regard sur les pratiques existantes et faire preuve de créativité.
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